chamanisme chemin d extase : Cosmogonie – l ile de la Tortue

1.b) Cosmogonie – l’île de la Tortue

Le jeune Cramh se remit bien vite physiquement de sa brûlure au pied. En quelques jours, ses pieds frêles ne portaient plus aucune marque. Il n’en fût pas de même pour son rétablissement interne et subtil. Le bouleversement intérieur, dans lequel l’avait entraîné Chri Ramalec profitant de l’occasion, perdurait. De toute façon, le jeune Cramh ne souhaitait pas de si tôt refermer la porte qu’il avait à peine entrouverte, et derrière laquelle semblaient l’attendre de nouveaux univers prometteurs.

Ce jour-là, sa curiosité l’amena encore à questionner le vieux sage autour de ces étranges histoires qu’il lui racontait parfois. Avant de passer tout son temps libre auprès de Chri Ramalec, sa vision était plus simple ; On lui avait dit au village que c’était Brahmā qui avait créé le monde, et c’était bien ainsi. Et c’est une vérité qu’il avait accepté comme une autre, n’étant pas là au moment de la création pour vérifier par lui même. Seulement Chri Ramalec, qui avait beaucoup voyagé de par le monde, lui racontait une histoire de la création du monde qui était bien différente. De plus cette histoire était à chaque fois une autre histoire ! Bien que cela puisse paraître contradictoire, Ramalec arguait à chaque fois du fait qu’il tenait cette révélation d’une source sûre ; puisque c’était un de ses nombreux amis Chamans1 de part le monde, qui lui avait révélé le secret, avant qu’il ne soit initié à son tour…

Il y avait eu par exemple la fois où Ramalec, sans broncher un cil, lui avait soutenu que l’ensemble de l’univers n’était que l’émanation du « rêve de la fourmi à miel » et que cela était nécessairement vrai, puisque c’était un de ses amis Chaman Aborigène qui lui avait dit !

– Vous voulez dire que ce brin d’herbe, ce sol, les nuages, le soleil et même vous, n’existez pas réellement ? lui avait demandé malicieusement le jeune Cramh.

– Ce n’est pas ce que je t’ai dit, je t’ai dit que tout cela et tout le reste ne sont que l’émanation du « rêve de la fourmi à miel »… peut-être, chez nous, appellerions-nous cela : « la Maya » ?

Ce fut tout pour ce jour-là. Mais ce ne fut pas tout en vérité, car un autre jour, Ramalec sembla se contredire encore quand il affirma avec le même aplomb que l’univers :

révèle des mondes stratifiés, « une pluralité des mondes, des univers stellaires à l’infini… » avec à chaque stade (terre) une catégorie d’hommes simples aux côtés d’autres imaginés (« hommes à cornes », « hommes à queue », « hommes ailés », « hommes rampants »)2

Et que c’était nécessairement vrai également car il le tenait d’une source sûre : son ami Chaman Dogon !

Cramh avait particulièrement apprécié les histoires où on lui apprenait qu’il marchait, lui et tous ses frères et sœurs, sur le dos de la Grande Tortue !

Pour les Hurons-Wendat, le monde originel était une vaste étendue d’eau surmontée d’un ciel-coquille sur lequel vivait un peuple d’êtres semblables aux humains : la fille du chef étant tombée malade, le Chaman ordonna qu’on creuse une tranchée autour d’un pommetier sauvage et qu’on approche la jeune fille. Un morceau du ciel-coquille se détacha et la jeune fille tomba vers l’eau ; elle fut secourue de justesse par deux Oies qui la recueillirent sur leurs ailes. On la porta à la Grande Tortue qui réunit tous les animaux et envoya successivement la Loutre, le Rat musqué, le Castor et le Crapaud femelle pour chercher au fond de l’eau un peu de terre. Le Crapaud femelle réussit là où les autres avaient échoué et avec la terre, forma sur la carapace de la Grande Tortue l’île du Monde sur laquelle les humains, ses descendants, vivent aujourd’hui. Avec l’aide de l’Arc-en-Ciel, la Petite Tortue monta ensuite au ciel et rassembla des éclairs pour former le Soleil, puis la Lune, afin d’éclairer le monde.3

Cette préférence allait peut être du fait qu’il avait tissé un lien privilégié avec cet animal depuis que Ramalec lui avait appris la posture de Yoga qui portait ce nom4. Il lui avait aussi expliqué que cet animal pouvait être l’emblème de tout Yogi car elle avait une respiration lente (comme le Yogi), la capacité de porter ses sens vers l’intérieur (comme le Yogi) et une longue vie (comme le Yogi).

Cramh n’était pas peu fier, quoi qu’un peu circonspect !

Tous les dieux de son monde avaient bien un « véhicule sacré »5 pour les transporter. Ce véhicule était bien souvent un animal tout aussi sacré et allégorique d’ailleurs.

Shiva était bien sur le dos de Nandi, son taureau blanc.

Ganesh, l’éléphant, sur le dos de Mûshika, sa petite souris. Même si cela devenait difficile à comprendre pour lui.

Agni, le feu, chevauchait un bélier. « Le pauvre bélier : » pensait Cramh imaginant la toison s’enflammant.

Pourquoi lui, et tous ses semblables, ne pourrait il pas aussi être sur le dos de la Grande Tortue, même si cela semblait un peu fou.

D’ailleurs une idée faisait son chemin en Cramh, un peu plus à chaque histoire racontée par Ramalec :

« Ils sont fous ces Chamans !».

Ce que ne démentit jamais Ramalec 6 .

1A chaque fois que le terme de « Chaman » sera utilisé ici, il ne le sera pas au sens Etymologique des « Chamans »Toungouses de Sibérie. Il le sera dans un sens plus large englobant, comme ont le fait souvent maintenant : les Hommes-Médecins amérindiens, certains Curenderos d’Amérique du sud, les Ngangas du Gabon, etc … De façon très succincte, on pourrait presque dire : toute personne, quelque-soit sa culture, qui a pour fonction d’être un lien entre les humains et les esprits de la nature, grâce à ses capacités à « voyager dans d’autres mondes » pour aider les siens.

2Source Wikipédia

3L’Oeil amérindien: regards sur l’animal, Sous la direction de Hélène Dionne, Musée de la Civilisation. p37

4Kurmâsana – la posture de la tortue.

5Vāhana

6L’idée même de « Folie contrôlée du Chaman » est souvent reprise. Pas seulement parce que les actes du Chaman, ainsi que ses ondes cérébrales, paraissent bizarres et proches de ceux de la folie. Voir par exemple les résultats des électroencéphalogrammes menés sur Corinne Sombrun en état de Transe Chamanique par Pierre Flor-Henry chef du service de psychiatrie adulte du Clinical Diagnostic and Research Center (à Edmonton au Cananda) (rapportés dans le monde des religions – Janvier 2012). Mais également car c’est sûrement une nécessité pour le Chaman de se libérer autant des normes sociales habituelles et de la logique rationnelle parfois limitante du cerveau gauche pour faire son oeuvre. Tout l’art est de le faire sans pour autant être l’esclave de sa folie comme le serait une personne souffrant de schizophrénie !


Ce Chapitre est extrait du livre:
CHAMANISME, chemin d’extase.
YOGA, chemin d’enstase