Chamanisme chemin d extase : Hutte de sudation – cérémonie de purification et de reliance

2.c) Hutte de sudation – cérémonie de purification et de reliance

La rencontre avec le tabac n’avait pas été de tout repos. C’était une rencontre puissante, pour ne pas dire choquante ! Heureusement, le Tabac et Ramalec avaient été très bienveillant avec le jeune homme. Une fois avalée la macération, Cramh avait immédiatement cru qu’il allait se sentir mal. Ramalec fit beaucoup boire d’eau à son jeune élève, et puis dans la nuit il chanta. Il chanta encore. A chaque fois cela soulevait le cœur et l’estomac de Cramh qui vomit tout son soûl. Ce fût une rude expérience, ce fût un bon début. Et Ramalec avait usé de tout son amour pour son disciple pour l’accompagner dans ce passage nécessaire et purificateur.

Trois jours ont passé. Cramh poursuit sa diète des plantes que lui prépare Ramalec. Il n’a plus faim, ne se sent plus mal. Quand Ramalec lui demande comment il se sent, ne sachant exprimer ce qu’il vit, tant cela est nouveau, il dit simplement :

– C’est un peu le contraire des repas où j’ai vraiment trop mangé ! Vous savez comment l’on est quand on a tellement mangé qu’on est obligé de s’allonger, le ventre plein, le regard hébété, la tête et les pensées embrumées, obligé de faire une sieste digestive. Et bien là, je sens tout le contraire… Je ne savais même pas que je pouvais sentir cela !

– C’est un très bon début ! Le Chamanisme va aussi nous proposer un moyen de purification puissant et complémentaire des 6 actions de purification1 que tu connais déjà :

Allons préparer la hutte avec les autres maintenant.

Une douzaine d’hommes et femmes sont déjà affairés. Cramh avait bien vu cela, de loin, de temps en temps2, mais c’est la première fois qu’il va entrer dans la hutte de sudation pour partager la cérémonie de l’Inipi.

Dans le rite de l’Onikaghe – la loge à transpirer – interviennent tous les Pouvoirs de l’Univers : la Terre et tout ce qui naît d’elle ; l’eau, le feu et l’air. L’eau représente les Etres-Tonnerre qui apparaissent d’une manière terrible, mais apportent des bienfaits ; car la vapeur qui sort des rochers dans lesquels gît le feu, est effrayante, mais elle nous purifie et nous permet ainsi de vivre comme le veut le Grand-Esprit. Si nous devenons réellement purs, il se peut même que le Grand-Esprit nous envoie une vision.3

Quelle simplicité et quelle humilité, de faire de cette simple hutte de branchage, le cœur de la spiritualité amérindienne. Ramalec respecte au mieux ce qu’on lui a transmis, et en même temps il s’adapte et ajuste. Ainsi les seize perches qui supportent la hutte et qui marquent les directions ne sont pas faites de branches de saule, car on ne le trouve pas dans ces régions. Un autre arbuste à branches souples fait l’affaire, même s’il ne permet pas de jouir des propriétés de l’écorce de saule (proche de l’aspirine). Quatre Cercles concentriques viennent croiser les perches. Le tout forme une magnifique hutte, basse, qu’ils recouvrent de couvertures. La terre du centre a été enlevée avec précaution et respect, puis portée à l’extérieur de la hutte pour en faire un tertre, un autel sacré où poser les objets de pouvoir pendant le rituel. Depuis le trou central de la hutte, si on regarde l’entrecroisement des branchages, on peut voir deux étoiles à huit branches concentriques, parfaitement alignées avec les directions cardinales, former une sorte de Mandala. Dans la hutte ronde, bientôt, il va faire noir, chaud et humide, comme dans le ventre de la Terre-Mère. Alors avec la cérémonie de l’Inipi nous serons tous frères et sœurs en son sein.

Devant la hutte à quelques mètres de la porte, à l’ouest, un feu est préparé. Avant d’allumer ce feu, c’est Ramalec, faisant fonction de Chaman, qui appelle, rend grâce et remercie les esprits des quatre directions, puis de la terre, et de Wakan-Tanka, le Grand-Esprit-Bison pourvoyeur, entre autres choses, d’abondance.

La terre qui possède les quatre points cardinaux,

sur qui sont nés la nourriture et les labours,

qui porte de maintes manières ce qui a souffle et mouvement,

veuille la Terre nous accorder les bœufs et autres (biens) !4

Le rituel commence alors par l’allumage du feu sacré. Partout il est des Chamans et des Yogis qui ont une accointance avec le feu sacré. Certains comme Ramalec sont issus d’une longue lignée de Forgerons. Il connaît si bien le feu qu’une fois l’an il peut accompagner ceux qui le souhaitent, qui l’osent et qui en ont besoin à une merveilleuse marche (pieds nus évidemment) sur le feu.

Le métier de forgeron vient, au point de vue de l’importance, immédiatement après la vocation de Chaman. « Forgerons et Chamans sont du même nid », dit un proverbe yakoute. « La femme d’un Chaman est respectable, la femme d’un forgeron est vénérable », dit un autre. /… / D’après les Dolgans, les Chamans ne peuvent pas « avaler » les âmes des forgerons, parce que ces derniers les conservent dans le feu ; au contraire, il est possible au forgeron de s’emparer de l’âme d’un Chaman et de la brûler dans le feu.5

Cramh n’a plus d’yeux que pour le feu devant lui. Ramalec lui sait qu’il n’y a pas de différences d’essence entre le feu extérieur très présent en Chamanisme (Chaleur ? Lumière astrale ?), et le feu intérieur évoqué plus souvent en Yoga (Feu digestif ? Enthousiasme ? Kundalini ?).

C’est la raison pour laquelle déjà les cultures les plus archaïques imaginent le spécialiste du sacré – le Chaman, l’homme-médecine, le magicien – comme un « maître du feu ». La magie primitive et le Chamanisme impliquent la « maîtrise du feu », soit que l’homme-médecine puisse toucher impunément à la braise, soit qu’il puisse produire, dans son propre corps, une « chaleur intérieure » qui le rend « brûlant », « ardent », lui permettant ainsi de résister au froid extrême.

Dans le Chamanisme, comme ailleurs, le feu devra brûler pendant tout le rituel et l’on doit le nourrir d’offrandes. Le jeune Cramh a les yeux qui brillent un peu plus encore quand Ramalec l’invite, maintenant qu’il a rencontré le Tabac, à en faire une offrande au feu. 6

Ici le feu va chauffer les pierres au rouge, ces mêmes pierres qui vont venir tout-à-l’heure ensemencer la hutte de leur chaleur. Comme le feu du soleil ensemence la Terre-Mère, comme l’homme peut fertiliser la femme. Deux énergies complémentaires, comme réunies : Lune-Soleil-réunis7.

En attendant, chacun se prépare à entrer dans la hutte, aussi nu que la pudeur et le respect le permet, et surtout, aussi nu que dans le ventre de sa mère. Ramalec entre en premier après s’être agenouillé à l’entrée, front contre terre, il dit juste dans un souffle « Aho Mitakuye Oyasin ». Cramh le suit de près, un peu inquiet, et fait de même. Puis, un par un, tous entrent. Le gardien de l’énergie ferme la marche. Le gardien du feu reste dehors auprès de son bien-aimé.

Ce qui se passe alors à l’intérieur de la hutte, et qui est le cœur de la cérémonie de l’Inipi, le jeune Cramh n’en gardera que peu de souvenir, tout comme pour l’instant il n’a pas vraiment idée du temps qui passe, de ce qui lui arrive et d’où il est vraiment. Il voit bien qu’à quatre reprises (quatre portes) le gardien du feu apporte de nouvelles pierres incandescentes. Mais une fois la porte fermée par les couvertures, il fait noir. Dans le noir, la chaleur monte vite avec l’eau qui s’évapore une fois versée sur les pierres. Les chants, les cris, les prières, les psalmodies et les plaintes aussi montent.

L’inipi a été donnée aux hommes, pour qu’ils se purifient spirituellement, physiquement, mentalement, et émotionnellement. Entrez dans une Sweat Lodge, c’est naître une nouvelle fois ; on y prie spirituellement, mentalement, afin de relier le spirituel et le mental. Prier n’est pas une récitation de mots, nous ne voulons pas d’effort de mémoire, nous ne voulons pas de prières sorties d’un livre, d’une bible. Nous désirons que vos prières viennent du fond de votre coeur et non pas de votre tête.8

Ramalec parle peu. C’est inutile. L’inipi au cœur de la hutte est immanence, la cérémonie suit son propre processus. C’est comme quelque chose d’organique qui se déploie maintenant et que plus personne ne peut contrôler. Ramalec en totale confiance n’essaie même pas de contrôler quoi que ce soit d’ailleurs. Il a juste (si l’on peut dire) à diriger l’ensemble comme un chef d’orchestre, à surfer sur les plus hautes vagues, ou à barrer comme un capitaine pour éviter les récifs et le naufrage et conduire chacun à destination .

La hutte est purification tout d’abord, encore et toujours purification, comme à chaque fois en Chamanisme. Alors elle devient de plus en plus reliance. Reliance à soi-même, au plus profond de son être. Reliance à tous nos frères et sœurs, au sens le plus large (incluant les participants à l’Inipi, les absents, les proches, tous les frères humains, les ancêtres, les esprits, les animaux, les végétaux, les minéraux…). Reliance à ce qui nous dépasse enfin, enfin !

La première porte de la hutte, physiologiquement, s’adresse à notre matière corporelle avec la chaleur, comme les Asana (posture) s’adressent d’abord au corps du Yogi.

La deuxième porte de la hutte libère le souffle, les énergies, et les chevaux des émotions. C’est comme un Prānāyāma puissant, ou plutôt comme la suspension du souffle qui survient (Kumbhaka), tant l’air brûlant coupe le souffle de ceux qui chantent pourtant encore.

A la troisième porte, épuisé, Cramh, rend enfin les armes. Il arrête de se battre, et de vouloir. Cet abandon est le chemin d’humilité de la hutte. Alors le mental, après ce dernier effort, peut s’apaiser. Nous sommes après les efforts de concentration (dhāranā) à la porte d’un état méditatif profond (dhyâna)

Quand à la quatrième porte, Cramh se demandera encore longtemps où elle avait bien pu le conduire.

L’homme qui se possède parfaitement est comparé à un cocher habile, qui sait maîtriser ses sens : c’est un tel homme qui obtient la délivrance. « Sache que l’âtman est le maître du char, que le corps est le char lui-même, que la raison est le cocher et que la pensée, ce sont les rênes. Les sens sont les chevaux, dit-on, les objets des sens, c’est leur carrière […]. Celui qui a la connaissance, avec une pensée toujours attelée, les sens lui sont soumis : ce sont comme de bons chevaux pour le cocher […]. Celui qui a la connaissance, pourvue de pensée , toujours pure, il arrive à ce lieu où l’on ne naît plus à nouveau.
Bien que le Yoga ne soit pas nommé, l’image est spécifiquement yogique : l’attelage, les rênes, le cocher et les bons chevaux reportent à l’etymon yuj, « tenir serré, mettre sous le youg »
9

10 000 ans ont bien pu passer.

Cramh, Ramalec et les autres semblent surgir des profondeurs de l’humanité, des profondeurs de la Terre, des profondeurs de la Terre-Mère quand se soulèvent une dernière fois les couvertures après la quatrième porte.

Il est temps de sortir.

Il est temps de naître ma sœur.

Il est temps de vivre vraiment maintenant mon frère.

1Sat Karman

2Tous les 28 jours, comme pour le cycle lunaire et le cycle menstruel.

3Les rites secrets des indiens sioux – Héhaka Sapa (Wapiti Nior) – Petite Bibliothèque Payot – p77

4AV. XII.1 La terre – Hymnes spéculatifs du Veda. Traduits du sanskrit et annotés par Louis Renou. Connaissance de l’Orient. Gallimard/Unesco – p189

5Mircea Eliade – Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase – Bibliothèque historique Payot – p366

6En Inde et dans les Veda, c’est sous le nom de Agni que feu rituel est instituteur du sacrifice et oblateur.

7Ce qui est presque une traduction possible des mots « Ha-Tha-Yoga »

8Inipi – Le chant de la Terre – Archie Fire Lame Deer

9Patanjali et le Yoga. Mircea Elidae. Sagesses. Points. p105


Ce Chapitre est extrait du livre:
CHAMANISME, chemin d’extase.
YOGA, chemin d’enstase