Chamanisme chemin d extase : La Nature – les 3 mondes

1.c) La Nature – les 3 mondes

Ce soir-là Cramh ne voulait pas rentrer chez lui. Il préférait rester encore un peu sous les étoiles, avec le vieux sage, plutôt que de se retrouver entre quatre murs dans sa maisonnette au village.

– Je préfère être avec vous Shri Chri, dans la nature, avait il dit.

– Tu aimes donc la Nature ?

– Oh oui, Chri Shri, j’aime la nature !

– Mais sais-tu que les quatre murs de ta maison font aussi partie de la Nature ?

– Comment cela ?

– De quoi crois-tu que soient composés ces murs ?

– De différents matériaux, je ne sais pas moi…

– Et d’où proviennent ces matériaux à ton avis ?

– De l’entrepôt du père de Oiran Dōchū. Ça j’en suis sûr !

Ramalec sourit, et continua :

– Et où son père a-t-il été les chercher ?

– A la grande carrière … je crois …

– Tu vois ! C’est bien Makayna1 qui les lui a donnés !

– Mais je ne parlais pas de cette nature-là Shri Chri. Je voulais parler des arbres vivants qui nous entourent et des animaux… Est-ce vrai ce qu’on raconte sur vous, que vous avez traversé des forêts immenses ?

– Oui, mon enfant. Et j’y ai vu une Nature exceptionnellement riche et diversifiée. Une Nature qui grouille de vie sous des formes qui dépassent l’imagination ! Toutes formes d’animaux et de végétaux. Et j’y ai vu des hommes et des femmes y vivre et s’y adapter. Et j’y ai rencontré de drôles de personnages très proches de cette Nature, aider les autres à faire le lien avec le côté non-visible de la Nature.

– Est-ce vrai ce qu’on raconte sur vous, que vous avez traversé des étendues blanches et glacées à perte de vue ?

– Oui, mon enfant. Et j’y ai vu une Nature aride, qui fait preuve d’une grande ingéniosité pour inventer de nouvelles formes de vie. Et j’y ai vu des hommes et des femmes y vivre et s’y adapter. Et j’y ai rencontré de drôles de personnages très proches de cette Nature, aider les autres à faire le lien avec le côté non-visible de la Nature.

– Est-ce vrai ce qu’on raconte sur vous, que vous avez traversé des déserts brûlants ?

– Oui, mon enfant. Et j’y ai vu une Nature minérale immensément puissante, pendant que les règnes, végétal et animal, étaient comme au ralenti. Et j’y ai vu des hommes et des femmes y vivre et s’y adapter. Et j’y ai rencontré de drôles de personnages très proches de cette Nature, aider les autres à faire le lien avec le côté non-visible de la Nature.
Partout j’ai vu la Nature, incommensurablement, belle, riche et vivante !

Cramh rêvait déjà un peu à toutes ces évocations. Ce qui aurait presque pu être une première étape pour voyager dans un monde ou l’autre s’il avait su le faire, comme Chri Ramalec savait le faire depuis son initiation chamanique…

– Et sais-tu, mon enfant, pourquoi malgré les formes infinies que peut prendre le paysage, à chaque fois, il est des Chamans qui arrivent à en voir la face cachée ? Parce que malgré les apparences, malgré la multiplicité des formes que revêt la Nature, les Chamans entrent en relation avec Elle, communiquent et communient avec Elle, et L’aime. Comme toi aussi tu m’as dit l’aimer tout à l’heure. Ils entrent en relation avec chacune de Ses émanations, visibles ou non, qui au final ne sont que dans trois mondes.

– Seulement trois mondes ? Mais Shri Chri, vous m’aviez dit que …

– … qu’est ce que j’avais bien pu te raconter encore ?
Pour les Chamans, un peu partout, il n’y a que trois mondes, disposés les uns sur les autres comme des couches superposées : le monde du bas, le monde du milieu, le monde du haut. Ce n’est pas un invariant, tu verras bien vite que la seule règle immuable en Chamanisme, c’est qu’il n’y a que des exceptions, sourit à nouveau Ramalec, espiègle. Cependant, si tu te souviens de ce Mantra, « la Mère des Veda »2, celui que nous reprenons souvent aux première lueurs du jour, tu te souviendras également qu’il fait référence, lui aussi, dès le début, à trois mondes…

Même Shiva est appelé parfois, « le maître des trois mondes »3

Cramh ne répondait plus, il voyageait dans un autre monde lui aussi, celui des rêves…

Cela laissa tout le loisir à Ramalec de poursuivre plus avant sa réflexion, sa divagation :

Quelque soit les représentations que les Chamans lui avaient présentées de ces trois mondes, le monde du bas était toujours un monde où régnaient des forces puissantes, incontrôlables, proches des instincts et du monde animal. C’est là qu’on pouvait y rencontrer son animal totem et d’autres alliés puissants (à condition de ne pas se laisser déborder par eux!). Le monde du haut était quand à lui empli de guides, de divinités ou d’autres formes bienveillantes et lumineuses que l’on peut rencontrer dans les sphères célestes. Le monde du milieu était comme le nôtre, ou plutôt comme son double, invisible, non matériel, énergétique, vivant et vibrant.

Ce pouvait-il que ce monde du milieu perçu par les Chamans ait un lien avec le monde des « Formes intelligibles » ou « théorie des Idées » formulé par Platon ? Pourquoi ne pas imaginer alors que ce serait là-aussi que pourraient s’expandre les « archétypes » comme définis par C.G.Jung, ? Impossible de le savoir !

Par contre Ramalec faisait parfois un lien avec la tradition chrétienne, qui plaçait un enfer en bas et un paradis en haut. Les descriptions que ramènent les Chamans de leurs pérégrinations dans le monde du haut, ainsi que ces propres expéditions, ne sont pas sans rappeler certaines évocations du paradis, et les êtres qu’ils y rencontrent peuvent faire penser aux anges.

Au point de vue historique /…/, si je me place sur le terrain de mes souvenirs /…/, mais d’après mes souvenirs /…/ Il y a certainement eu un moment de l’histoire terrestre où il y avait une sorte de « paradis terrestre », en ce sens que c’était une vie parfaitement harmonieuse et parfaitement naturelle ; c’est-à-dire que la manifestation du Mental était en accord – était ENCORE en accord complet – avec la marche ascendante de la Nature et dans une harmonie totale, sans perversion et sans déformation. 4

Tout comme certaines évocations de voyage vers le monde du bas, par des voyageurs non aguerris, peuvent rappeler certaines évocations de l’enfer. Si l’on oublie que l’Homme est lui aussi un animal et que l’on a la croyance qu’il a été créé à part et doit « dominer » les animaux5 . C’est très différent que si l’on croit que les animaux ont une âme et qu’ils sont bien souvent plus évolués, spirituellement, que les humains !

Après que les êtres humains furent créés et qu’ils aient vécu dans l’harmonie de l’Arbre de Vie, le doute s’installa, ils regardèrent autour d’eux et proférèrent : « Il nous faut créer ce que le Créateur n’a pas encore imaginé ». Cet orgueil a fait qu’ils perdirent l’enveloppe de soie, le voile protecteur électrique qui les entourait. Ils renièrent le Créateur et la Mère Sacrée. Le Créateur dit : Que les montagnes se fassent et la Terre se mit à bouger, à être bouleversée. La lave jaillit ainsi l’eau, la neige et la glace. Les animaux s’enfuirent et tombèrent dans la boue qui s’écoulait, qui était de la roche en fusion. Ils se fossilisèrent.

Alors que beaucoup s’échappaient, certains quatre pattes dirent : « prions, restons ensemble pour les deux jambes. » Ils demandèrent pardon au Créateur pour eux et allèrent jusqu’à offrir leur fourrure et leur chair pour les humains…6

Alors le monde du bas n’est plus un enfer mû par des instincts bestiaux (y compris sexuels), comme vu au travers d’une morale spécifique, mais il devient un territoire immense, plein d’une vie spontanée et magnifiquement sauvage.

Ramalec, se hasardait aussi parfois à faire un lien possible entre le monde du bas, et la représentation de l’inconscient dans sa description psychologique occidentale. On y retrouve des pulsions, des instincts, cachés, qui peuvent nous faire perdre le contrôle de nous- même, nous limiter, nous rendre fou, … ou y puiser notre inspiration et le génie ! Milton Erickson (inventeur de l’hypnose qui porte son nom) est sûrement un de ceux qui ont le mieux réussi, en Occident, à « voyager » dans l’inconscient, dans le monde du bas, pour y aider ses semblables, en tant que thérapeute. C’est alors assez drôle de relever que ses collègues le surnommaient « le magicien », ou « le sage de Phoenix ». Il s’en est fallut de peu qu’on le surnomme « le Chaman » ironisait Ramalec !

Mais alors où serait le monde du haut dans cette représentation psychologique ? Et l’hypnose ne permet donc que de s’occuper du monde du bas ?

Cela implique une toute autre manière de travailler en hypnose : grâce aux inductions « en ouverture », on peut accéder à la psychologie profonde de la personne (symbologie, archétypes, etc.) et on ne s’adresse plus seulement à l’Inconscient mais aussi à la Conscience supérieure ou « Conscience majuscule » de la personne.

Cette Conscience avec une majuscule n’a rien de magique : c’est elle qui vous permet de savoir que vous rêvez, la nuit, alors que votre esprit conscient est endormi. C’est encore elle, en hypnose dissociante, qui permet à la personne de « savoir » qu’elle est en état d’hypnose, alors même qu’elle est pourtant bien en transe…

La Conscience majuscule est donc le vecteur du changement en Hypnose Humaniste. C’est la strate supérieure de votre esprit, au-delà de l’Inconscient et du conscient. C’est la partie de vous que vous identifiez par « Je », à l’idéal. Ce que les jungiens appelleraient le « Soi ».

L’Hypnose Humaniste permet ainsi un impact global sur la personne, non seulement biologique et émotionnel, mais touchant d’un coup toutes les strates de la personne : du corps aux émotions, du mental à votre esprit supérieur… « En votre âme et conscience ».7

Une nouvelle carte possible de trois mondes superposés se présente alors : inconscient, conscient, et Conscient (avec une majuscule, comme pour « Soi » ou « Atman »)

A force d’efforts, la psychologie occidentale finit par se rapprocher petit à petit des grandes traditions, pensa alors Ramalec. Mais que de temps perdu par simple ethnocentrisme ! Il pensait à ce moment qu’il avait fallu attendre C.G.Jung pour que la psychologie développée en Occident intègre ce troisième niveau, le Soi, présent en Inde depuis plus de 2500 ans.

Jung part donc à la recherche de cette conjonction des opposés en lui, dont la réalisation se concrétise par l’intégration du Soi. L’Inde est la terre idéale du Soi dont Jung s’est inspirée par le biais de l’Atman, concept clé des Upanishads et du Védanta. 8

Et Ramalec de s’amuser à retrouver d’autres évocations des trois mondes dans sa culture indienne.

Tout l’espace entre terre et cieux est occupé par Toi seul ; quand ils la voient, cette forme tienne, féroce et foudroyante, tous les trois mondes sont en peine et souffrent, ô Toi Puissant Esprit.9

« Dans les trois mondes, il n’est rien que je sois tenu de faire […] et cependant je demeure en action » (III,23,)10

Ramalec se souvint alors de la question que lui avait posé Grand mère Michèle Burdet, avec un accent inimitable, mélange de Canadien, d’Anglais et de Suisse « Est-ce que tu voyages dans les trois mondes ?» C’était sa seule question quand il s’agissait d’accueillir, ou pas, un nouveau Chaman dans le Cercle de Sagesse Chamanique pour l’émergence d’une nouvelle conscience11 qu’il formait peut être encore avec quelques amis.

C’est que les Chamans ne se contentaient pas de décrire ces trois mondes, ils disent pouvoir y voyager ! Juste un trou dans le sol, ou une grotte peut suffire. Ou encore le tronc d’un arbre, vertical, lien entre ciel et terre, comme un pilier à escalader ou désescalader, pour passer d’un monde à l’autre. Ou le simple battement d’un tambour comme ponctuant les marches d’un escalier vers l’on ne sait où… il n’en faut pas plus pour commencer le voyage dans un autre monde pour le Chaman.

Sur ces spéculations, bien après le jeune Cramh, Ramalec s’endormit à son tour.

1Nom traditionnel donné par les sioux Lakota à la grand-mère Terre. A rapprocher sans doute d’autres dénominations comme : Patacha-Mama, Terre-mère ou Gaïa

2La Gayatri Mantra est l’un des mantras les plus connus et les plus anciens. Elle est issue du Rig Veda, ce texte sacré en Inde depuis plus de 3000 ans. Ses trois premiers termes, après le Om, « Bhur Bhuva Suvah » sont une évocation des trois mondes, ou trois plans de l’expérience où resplendit la divinité Gayatri, tout autant splendeur de la lumière du Soleil, que splendeur de la lumière de la Conscience.

3Shiva Tribhuvaneshwara : le Maître des trois mondes (le Ciel, la Terre et les espaces intermédiaires)

4L’Agenda de Mère, Tome 2. 1961. Institut de recherches évolutives. p132

5« Puis Dieu dit: Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. » La Bible – Genèse – 1.26

6Propos du Grand-Père Wallace Black Elke rapportés dans : Totem. Animaux, arbres et pierres, mes frères. Enseignement des Indiens des Plaines. Annie Pazzogna. P10.

7Présentation d’une nouvelle forme d’Hypnose, dite Hypnose-Humaniste par son inventeur : Olivier Lockert.

8Les rêves et les visions de Carl Gustav Jung – Par Jean-Luc Van Den Bergh p.148

9La Bhagavad-Gîtâ – présenté par Shrî Aurobindo. Albin Michel. Spiritualités vivantes. 11.I.20 – p.204.

10Propos de Krishna dans la Bhagavad-Gîtâ rapporté dans : Patanjali et le Yoga. Mircea Elidae. Sagesses. Points. p.20

11http://www.chamanisme.fr/-le-Cercle-de-Sagesse-Chamanique-.html


Ce Chapitre est extrait du livre:
CHAMANISME, chemin d’extase.
YOGA, chemin d’enstase